Les
persiennes encore
fermées, le soleil filtrait entre les lattes. Les ombres et les
lumières dansaient sur les murs de ma chambre. J'étais enfant et je
me réveillais un matin de printemps.
Du jardin me parvenaient le gazouillis des oiseaux, au loin
l'aboiement d'un chien, puis un autre lui répondant. Parfois, et
c'était ma terreur à cet âge, un avion passait au dessus de notre
maison. Bientôt viendra le laitier, je le reconnaitrai à la
clochette qui l'annoncera, et ma mère me donnera mon petit pot en
fer blanc pour aller chercher le lait avec elle. Les odeurs de pain
grillé et de café fraîchement moulu montant de la cuisine
titillaient mon appétit. La maison s'animait peu à peu et j'aimais
écouter le pas de chacun, deviner leurs allées et venues. Tout ce
branle-bas matinal qui renaissait chaque jour m'émerveillait.
J'imaginais ma mère et ma grand-mère, en bas dans la cuisine,
prenant leur petit déjeuner face à la grande fenêtre ouverte sur le
jardin, où bientôt les tilleuls répandront ce parfum qui pour moi
est resté celui des grandes vacances : Chaque année, les derniers
jours d'école, je me souviens de la famille réunie sous les arbres
pour la cueillette des fleurs. Mais en cette journée printanière,
l'abricotier, à gauche des tilleuls, avait sa parure florale. Ce
n'était pas un abricotier ordinaire, il se trouvait juste en face
d'une chambre au rez-de-chaussée, et c'était un après-midi d'avril
chaud et ensoleillé que j'y naquis. J'aimais cet arbre à la
généreuse frondaison qui ombragea mes sommeils de nourrisson.
Le matin, le printemps, l'enfance, sont des commencements, des
recommencements, des naissances et des renaissances, des préludes à
tous les possibles. Ce sont des sources fécondes, quand l'énergie
est encore neuve et les espoirs purs. Un enfant heureux renait
chaque jour, et je fus cet enfant heureux. On dit que le bonheur ne
suffit pas pour raconter une histoire, pourtant il rend la beauté du
monde accessible et visible. J'ai sans doute vécu des réveils
douloureux quand j'étais malade, des jours sombres et pluvieux, mais
je les ai oubliés, seuls me restent les souvenirs lumineux, la magie
de mon enfance. La vie ensuite, telle l'eau qui avec le temps érode
les roches les plus dures, entame l'insouciance et les peurs
s'installent, l'anticipation des joies devra s'accommoder des
angoisses et des doutes. La connaissance, l'éducation n'entament pas
les facultés d'émerveillement, au contraire, mais modèrent
l'exaltation.
Aujourd'hui, alors que mon enfance est loin derrière moi, comme mes
châteaux en Espagne, chaque matin, chaque printemps, je ressens cet
allant, comme une sève qui monte, et l'espoir toujours là de quelque
chose...Je repense à ma chambre jaune, oui, elle était jaune,
couleur du soleil, aux volets clos, tamisant la lumière dorée, qui
abrita mes premiers bonheurs. Avant de me lever, de rejoindre ma
mère, j'inventai une nouvelle journée. Et c'était l'appel du dehors
: Le jardin de mon grand-père était mon « Paradou ». Bien plus petit
que l'éden d' Émile Zola, il m'apparaissait immense. J'y avais mon
potager, un petit carré de terre à moi où je plantais des salades,
les regardais pousser, et y observais les escargots. Ma grand-mère
élevaient des lapins, des poules circulaient dans les allées, et à
l'arrière du jardin le verger était mon endroit préféré, avec ses
cerisiers, pruniers, pêchers, mirabelliers, cognassiers. Sur le
côté, à gauche, des framboisiers recouvraient des treilles, et en
bas les bordures de fraisiers faisaient des lignes. Au fond, se
trouvaient les haies de groseilliers et de cassissiers derrière
lesquelles j'aimais me cacher. Au printemps ce jardin fleuri aux
senteurs enivrantes, m'attirait et m'y retenait des heures. Comme le
« Paradou », il était un appel à la vie.
Longtemps après, ces souvenances, l'évocation des parfums, des
couleurs, toute une palette d'impressions toujours aussi vives,
éclairent mes soirs d'automne. Sauront-elles, encore, ma nuit
d'hiver venue, adoucir mes désarrois, mes craintes, y faire renaître
l'étincelle de vie, l'allégresse, ou du moins l'entourer d'une lueur
d'espérance, celle, peut-être, d'une renaissance ?...
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