Diva

 

             Quand Diva arrive, tout le monde la regarde, parce que Diva n'entre pas comme tout le monde : Elle est en retard, on l'attend, et elle le sait. Elle arrive en conquérante, affichant un grand sourire, et sans gêne d'être encore en retard, au contraire : Arriver en dernier c'est comme arriver en premier, c'est sortir du lot, mais quand on arrive en premier personne ne le remarque, ou à peine, donc c'est mieux d 'être le dernier, celui ou celle qui concentrera tous les regards et qui fera s'exclamer des « Ah ! » de l'assemblée réunie !

          Longtemps je n'ai pas connu Diva. Avant, j'en avais beaucoup entendu parler. Quelqu'un me la décrivait toujours avec quantité de louanges, de propos dithyrambiques, en insistant tant et si bien que je voyais en face de moi gonfler l'égo de ma narratrice, qui croyait ainsi dégonfler mon égo personnel devant tant de qualités racontées. Mais j'ai reconnu là une façon détournée de titiller l'autre, furtivement, en louant exagérément une deuxième personne sur des qualités que l'on aimerait avoir soi-même : C'est la comédie humaine.

          Puis un jour je la rencontrai. Lors d'un déplacement Diva se trouva assise près de moi. Pas un mot ne fut échangé durant cette petite heure. Je ne parle pas facilement, ou plutôt je ne sais pas parler pour parler. Le silence ne me gène pas et je compris que Diva n'avait, peut-être, pas plus que moi envie d'échanger. Pourtant je fus étonnée de son mutisme, on me l'avait décrite bruyante, expansive, riant fort, avec un plaisir évident d'être remarquée. Mais c'est sans doute qu'elle a besoin d'un public pour être Diva. J'appris peu à peu que dans l'intimité elle était elle-même et ne jouait plus de rôle et c'est ainsi que je la préfère. Par la suite, en faisant vraiment sa connaissance je découvris ses nombreuses qualités, mais qui ne sont pas celles dont on me bassinait depuis longtemps. Comme toute Diva, elle est exigeante avec les autres, n'a pas de tolérance pour certaines façons d'être ou d'agir et n'accepte pas la négligence, et encore moins l'indifférence à son égard quand on fait partie de son cercle d'amis. En revanche, elle est tout aussi exigeante avec elle-même. Pour l'avoir croisée dans ces moments de vie les plus difficiles, j'ai pu constater le souci de n'en rien montrer, de toujours garder la tête haute. Jamais de plaintes ni de jérémiades. Elle accorde de l'importance au paraître, esthétique, et non social, tout en s'attachant aussi à « l'être ». Curieuse de tout, cultivée, elle papillonne d'activités en activités, et très sensible, elle est aussi plus vulnérable qu'il n'y paraît. Diva est riche intérieurement, et si elle a besoin du regard des autres, elle est tout aussi capable d'être bien avec elle-même.

             Pourquoi Diva est-elle Diva ? Un besoin de lumière, d'être dans la lumière. Sauf quand elle ne va pas bien, et là, au lieu de se lamenter, elle disparaît, tel un chat qui se cache quand il souffre. Certaines autres Divas, tout en recherchant aussi l'éclat, sont en revanche farouches et préservent habilement leur mystère. Mais pour la Diva dont il est question ici, elle ne cherche pas à intriguer, à être une énigme, elle est plutôt dans l'affirmation d'elle même. Pour elle, cette lumière se mérite, elle n'aime pas la facilité et est, je crois, insensible à la flagornerie. Elle a du courage et de la persévérance, et assez de confiance en elle-même pour accepter l'échec et y remédier. C'est ce que j'aime chez elle.

             Avoir une Diva dans son cercle d'amis, finalement, est révélateur des défauts et des qualités de chacun, en ce sens qu'il ne faut pas se laisser submerger par les émotions : Agacement, admiration béate, jalousie, colère aussi, certaines Divas sont difficiles à gérer. Mais si elle est douée et intelligente comme la nôtre, les sentiments seront plus subtils.

            Que recherchons-nous dans la lumière, alors que d'autres sont heureux dans l'ombre ? Un besoin de reconnaissance, la clarté pour combler la tristesse, ou bien, à l'inverse, une estime de soi manifeste, une énergie de vie débordante, ou plus encore, le goût de l'image de façade, le plaisir de la comédie et du spectacle. La psychologie trouverait bien des réponses et des interprétations, souvent contradictoires. La part de diva que nous avons chacun en nous s'exprime plus ou moins et de multiples façons. C'est le mystère du miroir, le reflet perçu est une apparence, celle que nous aimerions avantageuse, mais sitôt le regard détourné, le doute revient, derrière cette apparence trompeuse, le vrai « moi » resurgit, et notre part de diva, faible ou puissante, aide à pallier la peur du regard de l'autre.