Nocturne, ou le loup garou

 

              Un souffle, un battement d'ailes furtif, puis le silence. Mes pas s'enfoncent dans un froissement humide, j'avance dans la nuit, écoute le vent dans les arbres qui passe comme une vague énorme et laisse place au calme. Doux chuintements, claquements de bec, au loin le hululement d'une chouette, peut-être celle qui me frôla tout à l'heure. Autour de moi une vie intense et secrète semble m'ignorer.

     Odeurs d'humus, décompositions du vivant, parfums de terre mouillée. J'aime ces effluves, sources de vie. Les buissons me retiennent avec leurs épines, de légers feuillages caressent mon visage, y laissant des traînées de pluie.

     Tout est noir, pourtant une lune spectrale filtre la nuit d'automne. Les branches des arbres y apparaissent en contre-jour, telle une toile tissée par une araignée ivre. Enchevêtrement extraordinaire, vision fantasmagorique. La nuit, la forêt vit, respire, féconde et nos sens en partie privés de la vue, s'animalisent, rentrant en osmose avec la nature.

     Je poursuis mon chemin, plutôt je le devine, à pas lents, les sens en alerte. Dans l'ombre, des ombres plus sombres encore surgissent et traversent un peu plus loin devant moi. Aux silhouettes massives et râblées, à leur fuite lourde et agile, je pense avoir croisé une famille de sangliers.

     Encore une onde de vent, puissante et douce. Crépitements dans les feuillages, de petits mammifères, blaireaux, belettes, ou écureuils, regagnent prestement leurs terriers à mon passage. Une branche craque, tombe et va rejoindre la matière organique, puis participera à sa renaissance.

     L'espoir insensé de surprendre la fière ramure d'un cerf, son passage hors de la harde, à la recherche d'une biche, entendre son brame, ou les bois s'entrechoquant lors d'un combat. Je n'ai pas cette chance, pourtant ils sont si près, aux aguets, comme je le suis moi-même.

     Le loup accompagna mon enfance, mais la peur y était feutrée, à l'abri le soir j'aimais cette peur. Là, seule dans ces bois profonds sourd une angoisse obscure, imprécise, liée aux contes, mais pas seulement, puisque ici il n'y a plus de loup. Instinct primitif, réflexe animal qui a traversé le temps. Alors continuant mon chemin, souplement, silencieusement, j'arrive à une source, petit ruisseau, ou mare et me penche au dessus des herbes soyeuses pour m'y désaltérer. Pourquoi je ne m'étonne à peine d'y voir mon reflet, de soutenir mon regard, étrange regard. La pluie trouble ce miroir, c'est à peine si je peux encore y percevoir un éclat d'or, et une autre lueur encore, celle de la pleine lune, comme floutée, un halo argent presque invisible.

     A pas feutrés je reprends ma marche, plus assurée, hume les senteurs lourdes de la forêt, cherche un refuge, et dès lors que je l'ai reconnu, tout doucement me glisse dans l'ouverture, puis tout au fond m'enroule dans ma tanière.

     Les sons me parviennent comme dissous, pourtant mon oreille fine perçoit un souffle, un battement d'aile furtif, le silence. Quelque part au fond de la nuit le hululement d'une chouette fait écho à mon rêve.